dimanche 27 octobre 2013

Pathfinder - Phœbé

Le char d'Hélios était apparu dans le ciel depuis deux bonnes heures déjà et la cité s'activait, profitant des derniers moments avant que la chaleur ne devienne assommante.
Depuis l'Erechtéion, on pouvait entendre cette agitation, du bruit du passage incessant des pèlerins au murmure lointain de la respiration de la ville.

Phœbé avait assisté aux cultes du matin dans une robe de simple novice, puis elle était allée s'exercer. 
Fourbue, les bras douloureux, elle quittait le gymnase et prenait la direction des bains quand elle avisa la présence d'une pleine centurie de légionnaires devant les Propylées, l'entrée monumentale de l'Acropole.

Les hommes étaient armés et l'officier qui les menait, quoiqu'en pleine discussion avec les prêtresses, semblait bien décidé à pénétrer dans l'enceinte consacrée. Les pèlerins semblaient outrés et déjà, la clameur enflait.

Le premier  réflexe de Phœbé fut de prendre la direction de l'incident : l'idée de côtoyer la légion ne l'enthousiasmait guère, mais la présence de tant d'hommes armés aux portes du Temple le plus sacré d'Athènes risquait d'échauffer les esprits, et elle ne pouvait rester passive devant un drame en puissance.

Une main la retint au dernier moment. 

-Phœbé !
-Elpida, que...

La jeune fille qui lui avait saisi le bras lui fit signe de se taire et la traina derrière elle, l'éloignant des Propylées.

-Nous devons y retourner, les légionnaires vont entrer de force dans l'enceinte !
-La Grande Prêtresse m'a dit de venir te chercher de toute urgence et de ne m'arrêter sous aucun prétexte.

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Phœbé  se tut et suivi la jeune prêtresse.
Ensemble, elle traversèrent le Parthénon, passant devant la statue chryséléphantine de la déesse.

Le bâtiment semblait en proie à une activité inhabituelle. Phœbé remarqua que les lourdes portes des salles des offrandes étaient en train d'être scellées : on aurait dit que l'Acropole se préparait à soutenir un siège.

Arrivées à l'arrière du Parthénon, elles aperçurent Andromaque. La Grande Prêtresse était occupée à donner des ordres à ses subordonnées. Remarquant la présence de Phœbé et d'Elpida, elle congédia les femmes autour d'elle et s'approcha des nouvelles venues.

Ces dernières s'inclinèrent mais Andromaque les interrompit.

-Mes soeurs, nous n'avons pas le temps.
-Andromaque, des légionnaires sont aux Propylées, expliqua Phœbé. Tu dois aller leur parler avant qu'ils ne pénètrent dans l'enceinte.
-Ils pénètreront dans l'enceinte quoique nous leur disions, car tels sont leurs ordres.

Phoebé et Elpida restèrent interdites.
Nulle part dans les terres achéennes on aurait pu imaginer une telle profanation. L'acropole d'Athènes, tout comme les sanctuaires de Delphes ou d'Olympie, étaient hors d'atteinte des querelles des hommes.

-César a déclaré la dissolution de tous les ordres militaires religieux des cités de son Empire : ces légionnaires viennent appliquer la loi. Les sœurs militantes devront renoncer à leurs vœux sous peine d'être mise à mort. 

Le regard d'Andromaque se posa sur Phoebé qui était devenue blanche.

-Tu es la première concernée Phœbé, en tant que dernière guerrière d'Athéna à demeurer encore dans l'Acropole.
-Je ne peux pas renoncer à mes vœux, ce serait trahir la déesse. Et je ne peux pas d'avantage me dérober à la loi de César. Il ne me reste que la ciguë.

Elpida fit un pas en arrière à l'évocation du poison traditionnel de la cité.
Andromaque leva la main d'un geste impérieux.

-Je m'attendais à ta réponse, et elle me déplait autant qu'elle me réjouit.
-Quelle autre réponse aurais-je pu te faire ? Le Temple m'a recueilli alors que je n'avais pas huit ans, comment pourrais-je lui tourner le dos ?
-Tu ne le peux pas, je le sais bien, pas plus que tu ne peux laisser le poison t'emporter. La décision de César ne vise pas qu'à supprimer des structure militaires dont le contrôle lui échappe : il unifie le dogme en l'alignant sur la vision romaine, où les choses de la guerre dépendent des hommes. Pour que l'aspect guerrier d'Athéna Promakhos perdure, tu dois vivre.
-Et comment puis-je vivre alors que la décision de César me condamne à mort ?

Andromaque sourit et se tourna vers un groupe de prêtresses qui apportaient une monture et un coffre richement orné. Une autre prêtresse portait les effets personnels de Phœbé.

-Et bien César a ordonné que les ordres religieux soient dissous. Qu'on le veuille ou non, la parole de César est la loi : donc à partir de ce jour, les guerrières sacrées d'Athéna n'existent plus en tant qu'ordre constitué et tu n'en fais donc plus partie. Mais je ne crois pas que César ait dit quoi que ce soit sur les jeunes femmes désirant suivre les préceptes de Pallas de leur propre initiative.

Phœbé réfléchit aux paroles de la grande prêtresse et à ce qu'elles impliquaient. Pendant ce temps, les prêtresses posèrent le coffre et l'ouvrirent, découvrant une armure que la jeune fille aurait reconnue entre mille.

-C'est...
-Exactement. Alexandra l'utilisait pour éviter d'attirer l'attention. Elle aurait voulu que tu la portes et je crains que notre arsenal soit de toute façon saisi. 

Phoebé caressa l'armure qu'elle avait crue perdue. La revoir ainsi lui redonnait espoir mais lui rappelait aussi le souvenir de sa maîtresse disparue.

-Prima m'a amené ici il y a si longtemps, que vais-je faire une fois dehors ?
-Athéna continuera à te guider : prends tout ceci et pars vers le port sans te retourner. Une fois là bas, embarque toi sur le premier navire qui appareille, éloigne toi du regard de l'empire, vogue vers les confins et cherche la trace du temple des Grands Dieux. 
-Le sanctuaire perdu de Samothrace ? Mais pourquoi ? Personne ne l'a plus vu depuis des éons, on dit qu'il s'est abîmé dans la mer de nuages.
-On dit aussi que les Mystères du sanctuaire pourraient bouleverser le monde. La déesse me montre souvent ce temple dans mes visions. Pars à sa recherche Phœbé, il sera l'Ithaque de ton Odyssée. Et maintenant va ! Un centurion est en train de perdre patience aux Propylées et j'ai ordonné qu'on le laisse passer avant qu'il n'en vienne à faire couler le sang. 

Phœbé enfourcha sa monture sur laquelle on avait déjà accroché son paquetage.
Elle jeta un dernier regard en arrière, vers Elpida et Andromaque.

-Nous reverrons nous un jour ?
-Qui sait quel destin nous réservent les dieux, Phœbé ? Ce que je sais, c'est que les augustes passent et que la déesse demeure : peut-être connaîtrons nous des jours plus cléments. Si ces temps adviennent, nous aurons besoin de ton retour.

Phoebé mis son cheval au galop.
Alors qu'elle s'éloignait, elle entendit des cris de femmes venant du Parthénon. Elle entendit aussi Andromaque incanter un sort d'apaisement des émotions.
Elle appliqua les ordres de son aînée et ne se retourna pas.

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