"Les enfants adorent aller à la mer."
Voilà un adage qui, j'imagine, doit être vrai de tous les enfants.
Bon, notre fils ainé, lui, il trouve que le sable a une texture désagréable : dès qu'il pose les pieds dedans, il se met à hurler, toute la plage se retourne en se demandant pourquoi nous torturons ce gamin, je me retrouve à le porter sur mes épaules...
Bref, les enfants adorent aller à la mer sauf les notres qui trouvent ça dégueu.
Du coup, quand nous rendons visite à ma mère, à Caen, nous en profitons surtout pour aller trainer en ville et donc rendre visite au bazar du bizarre, la seule boutique de jeux de rôle connue sur un rayon de 200 km.
En y passant cet été, nous avons trouvé un exemplaire de Bloodlust metal (le dernier qu'on puisse encore trouver en France d'après le vendeur).
L'arrière du bouquin mentionne "interdit au moins de 18 ans", un feuilletage rapide expose quantité de filles légèrement vêtues : je montre à ma femme, elle trouve ça super, on achète.
Je précise tout de suite que j'ai jamais joué à la version originale de Croc.
J'ajoute aussi que je suis pas un fan inconditionnel des jeux de rôle signés de sa main.
Je dis pas que je n'aime pas, mais j'ai finalement assez peu eu l'occasion d'y jouer, ma jeunesse rôlistique ayant essentiellement tourné autour de L5A.
En fait, mon expérience du Croc peut se résumer ainsi : j'ai fait pas mal de INS/MV et j'ai maîtrisé un peu de COPS. En me basant sur cette seule expérience, j'aurais dit qu'on avait là un bel exemple de jeux vachement biens sur le papier, mais aux systèmes de jeu qui cassent pas des briques.
Le système de jeu de la version originale n'ayant pas été conservé, j'aborde donc cette nouvelle édition sans a priori en me disant "un peu de low fantasy qui tâche, ça va être sympa".
Le bouquin
Bon, alors déjà, c'est un gros bouquin.
La marge de chaque page prenant la moitié de la largeur, je pense qu'on aurait pu faire plus petit, et du coup rendre l'ensemble moins fragile. Regardez le photo de mon exemplaire : la couverture souple a déjà bien mangé au terme d'une seule lecture.
Sans être moche, la couverture est assez mal foutue : en la regardant, on se demande un peu c'est quoi le rapport avec le jeu.
Je pourrais dire la même chose des illustrations à l'intérieur : elles sont très jolies, elles montrent des jolies paysages, des mec en tenue typique de chaque région du monde, des animaux... Mais assez peu d'armes magiques qui déchirent, alors que j'avais cru comprendre que c'était un peu l'idée du jeu.
J'ai tout compris ! |
Si on compare avec la couverture de la version d'origine, on comprend mieux.
Je vois un mec qui a l'air assez méchant monté sur un cheval encore plus méchant, une atmosphère qui a l'air assez sombre et je me dis que ça risque d'être assez brutal.
Si je regarde l'édition métal, je vois trois clochards qui se préparent à dépouiller un cadavre. Je me dis rien, je comprends pas.
En même temps, l'éditeur, c'est John Doe.
Et chez John Doe, on fait en général des bons jeux mais on garde rarement un souvenir immortel des illustrations.
Et finalement, qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse, alors je vais vous parler de ce qu'il y a dans le bouquin
L'univers
Bloodlust, pour ceux qui connaissent pas, c'est de la fantasy où Conan le barbare aurait tapé Elric le Nécromant pour lui tirer son épée.
Tout de suite, ça interpelle.
On y incarne le porteur d'une Arme-Dieu : en gros, vous êtes un clampin moyen, mais vous portez une arme dans laquelle habite une âme immortelle qui vous cause dans votre tête, vous dicte parfois votre conduite en fonction de ses propres désirs, et vous confère des pouvoirs magiques dans un univers où la magie ne courre pas les rues.
Comme vous évoluez dans un univers assez violent (ça esclavagise, ça pille, ça tue et ça viole à tour de bras), il est finalement assez rassurant de savoir que grâce à votre Stormbringer personnelle, vous avez de quoi latter le fâcheux moyen sans trop de difficulté.
Tout le sel de cette cohabitation vient du fait que votre arme n'est pas qu'une moulinette pour Grosbill. Elle a des désirs, des projets, un agenda personnel, et si elle a besoin d'un Porteur (il faut un P majuscule, c'est le bouquin qui le dit dans un laïus assez chiant en introduction) pour se déplacer et bénéficier de ses sens, elle va tout de même essayer d'influer sur la conduite des opérations pour que ça colle à ses aspirations.
Du coup, dans la tête, c'est une discussion permanente entre deux personnalités qui se chamaillent ou s'accordent de façon plus ou moins harmonieuse, mais qui doivent cohabiter pour bénéficier de ce que l'autre lui apporte.
ça change de l'épée magique +2 tueuse de putois démoniaques de D&D.
A côté de ce pitch qui tue, le monde, qui s'appelle Tanaephis, ne sort pas trop de l'ordinaire.
Il y a des arabes comploteurs qui font du commerce d'épices à l'ouest, des blacks violents qui vivent dans des jungles au sud, des vikings sanguinaires au nord, les espèces d'européens convertis à une sorte de légisme chinois inhumain au possible qui vivent à l'est et les restes d'une sorte d'empire romain dégénéré qui vit dans la grande métropole du milieu.
A l’extrême nord se trouvent des esquimaux assez pacifiques. Mais comme ils étaient bien les seuls à l'être, ils se sont fait exploser par leurs voisins vikings.
Cherchez pas les nations elfiques et les halls de royaumes nains millénaires : il y a que des humains, tout les autres ont disparu.
Tout au plus trouve-t-on des sortes de demi-quelque chose; des humains dont un lointain ancêtre aurait fricoté avec les non-humains et dont la descendance conserverait les traces de l'évènement.
Comme il se trouve qu'en plus d'être violent, le clampin moyen est aussi raciste, c'est pas franchement une bonne nouvelle d'avoir du sang elfique ou nain dans les veines.
Comme le livre ne s'étend pas des masses sur les grands projets des organisations en place, ça fait finalement un truc assez plat, mais qui décrit bien la violence dans laquelle vont évoluer les personnages.
A la place des dizaines de pages consacrées à la description de chaque sous-district du continent, j'aurais préféré en savoir d'avantage sur les fameuses confréries d'Armes-Dieu ou avoir une description plus précise de certains grands de ce monde, ça aurait donné un résultat plus vivant.
Qu'est-ce qu'on en a à foutre du background ? |
Toutefois, si je peux incarner Xena la guerrière armée de sa hache-démon-qui-lui-parle-dans-sa-tête, 90% du cahier des charges d'un jeu badass est rempli. Alors je me jette sur le système de jeu pour voir comment ça marche.
Le système de jeu
Alors voyons :
1- Un personnage a un niveau compris entre 1 et 5 dans chaque grosse compétence qui dicte la vie d'une personne normale.
2- En plus de cela, il dispose d'une liste d'avantages (qu'on appelle aspect) qui décrivent au mieux son personnage et dans lesquels il met un score.
Exemple : Larron est une compétence, on va dire que je l'ai à 3. Et pour décrire mon personnage, je dirais qu'il est "silencieux comme la mort" et cet aspect a un score de 2.
ça veut dire que si je dois chouraver un truc et qu'il est important de le faire aussi discrètement que possible, je vais lancer 3+2 d6.
On additionne les résultats : une action est réussie si on fait 6, mais l'intensité de la réussite (la qualité) correspond au nombre de dés qui ont donné un résultat pair.
On peut prendre des risques en écartant des dés (et donc diminuer ses chances d'atteindre le résultat demandé) en échange de qualités (et donc augmenter la qualité de la réussite si le jet est réussi)
On peut cumuler plusieurs aspects s'ils se prêtent à la situation, mais cela fatigue le personnage.
On peut aussi voir un aspect se retourner contre soit : l'aspect "A été élevé dans la haute société" peut prendre la forme de dés en moins sur un jet d’interaction sociale avec un clodo si le MJ farceur en décide ainsi.
Moi, je trouve que c'est une super idée.
La fiche de personnage cesse d'être un truc aride et mathématique pour devenir une description plus littéraire : on n'est plus face à un fichier excel en puissance
Par contre, j'ai peur que le système de compteurs puisse être une petite usine à gaz : pas de points de vie dans Bloodlust Metal, on compte les pertes de fatigue, de faiblesse et de tension, et la difficulté des jets évolue en fonction de votre niveau dans ces trois compteurs.
Chaque blessure fait l'objet d'un suivi individuel quant à sa gravité, ses soins et ses éventuelles séquelles : le MJ ne peut pas être le seul à avoir lu les règles autour de la table, sinon il va drôlement en chier pour faire l'intégralité de l'arithmétique en cas de confrontation.
La création d'arme est sensiblement différente puisqu'on détermine les avantages qu'elle confère et les pouvoirs qu'elle accorde, ainsi que ses pulsions qui vont rendre aussi rigolote la cohabitation avec le Porteur.
Le système me laisse une impression hyper positive et j’adorerais le tester.
Mais comme je joue essentiellement avec des gens qui n'aiment pas s'encombrer de règles, j'appréhende un peu.
D'autant que les règles, vous avez intérêt à les maîtriser sur le bout des doigts car c'est là que se situe, à mon sens, le vrai gros défaut objectif de ce jeu :
Mais putain mais il est où l'index ? dmc ?
Cherchez pas : y a pas d'index.
Après la lecture du système, j'ai voulu créer un perso : je me suis dit "je vais utiliser une arme à deux mains, ça apporte un bonus mais je sais plus lequel". Il m'a fallu 10 minutes pour trouver la réponse FFS ! Et comme je m'en rappelle plus il me faudra 10 minutes la prochaine fois que je me la reposerai !
C'est pas comme si Gary Gygax avait inventé le jeu de rôle la semaine dernière ! En 2013, je trouve que c'est du foutage de gueule qu'on mette pas d'index à la fin d'un bouquin de règles, à la moindre question un peu sérieuse qu'on pose en cours de partie, on est bon pour 10 minutes pour retrouver la réponse dans le bouquin.
C'est quand même quatre pages qui font la différence entre une partie fluide et une partie hyper hachée.
Dans le même genre, il n'y a pas LE truc qui rend les systèmes de jeu anglo-saxons aussi faciles à assimiler et les jeux français aussi arides : une double page décrivant une vraie partie.
Vous savez, la double page un peu ridicule où il y a marqué :
"John demande à ses joueurs de tirer l'initiative, chacun tire 1d20 auquel il ajoute son score de dextérité sauf Jennifer dont le personnage dispose de l'avantage initiative améliorée qui lui donne un bonus de..."
ça peut paraître très con mais ça rend le truc hyper clair : quand vous faites une partie de cartes avec vos potes, vous faites toujours un coup pour rien pour vous assurer que tout le monde a compris.
Et pourquoi pas dans un jeu de rôle qui a pourtant des règles bien plus complexes que le strip pocker ?
C'est le genre de manque qui vous pourrit un jeu : c'est à cause de ça qu'on a du refaire à notre sauce les règles de la dernière édition d'INS. Il nous fallait 50 tours pour finir un combat, on a jamais su si c'est parce qu'on avait rien compris à certains points un peu ambigus ou parce que les règles étaient buggées.
Une fois le livre refermé, qu'est-ce qui s'en détache ?
Je ne suis pas mécontent de mon achat, je n'avais rien dans ce style dans ma bibliothèque et le principe des Arme-Dieu peut rendre le jeu un peu plus futé et un peu plus marquant qu'une resucée de Conan le Barbare.
Le système de jeu mérite qu'on lui accorde sa chance, à condition de bien le relire avant les premières parties.
Son gros point fort, pour moi, est dans le système de narration qui lui est propre.
En effet, on peut décider que les joueurs interprètent les porteurs et pas les armes, ou l'inverse. On peut décider que chaque joueur interprète un porteur et l'arme d'un autre joueur autour de la table : les possibilités sont multiples.
Pour moi qui n'aime pas trop maîtriser mais qui m'y colle néanmoins pour faire plaisir, ça représente un avantage non négligeable : si je laisse les joueurs interpréter les Porteurs et que je me garde le contrôle des armes, ça rend le rôle de MJ plus actif et plus participatif.
Une façon d'être un peu joueur tout en maîtrisant quoi.
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