Une main de fer dans un gant de plomb.
Quel dommage que la campagne se soit interrompue de façon prématurée, c'est un de mes rares cas de personnages masculins... mais pas trop.
Il était une fois au Paradis
Simon contemplait son ouvrage
de la journée; un millénaire d’expérience et son regard d’expert ne le
trompaient pas, la perfection était atteinte.
Simon reposa le pot au bout de
la ligne et se redressa.
En un tour d’horizon, il
embrassa du regard le résultat de sa mission. Il renifla d’un air satisfait en
contemplant les trois cents soixante quatre mille neuf cent quatre vingt huit
pots qu’il avait patiemment alignés, à raison d’un par jour, au cours des mille
dernières années.
Et dans chaque pot, un arbuste
taillé de façon à rester le plus petit possible selon une technique qu’il avait
mise au point.
Simon fit jouer son épaule.
Son imposante musculature roulait sous sa peau et s’accordait avec son menton
carré, ses cheveux blonds taillés en brosse, ses yeux d’un bleu métallique et
sa petite toge blanche.
-Une journée de plus passée à
œuvrer pour le Seigneur ! Loués soit le Très Haut et Saint Georges !
Simon fit craquer ses doigts
et pris la direction des jardins centraux. Que de chemin parcouru depuis le premier
jour, quand les archanges assemblés avaient décidé de confier à Georges et à
ses suivants les plus proches la glorieuse mission d’entretenir les jardins du
paradis en récompense des siècles passés à lutter contre les fées et les
dragons.
Simon avait fait parti des
élus et c’est ainsi qu’il était passé du poste de C.A.D (Capitaine des Armées
de Dieu) à la fonction de responsable du N.A.Z.E (Nouvel Agencement
Zoobotanique Elyzéen).
Que de chemin parcouru.
Il traversa les jardins
entretenus par son ami Godefroy, chargé par les instances supérieures de
maintenir chaque brin d’herbe de ce gazon sacré à une hauteur standard bien
précise. La qualité du labeur des fidèles de Georges n’avait pas
d’équivalent : le gazon était d’une taille parfaite et faisait honneur à
une tradition de précision et d’exactitude qui remontait à la création.
Simon regarda les jardins qui
s’étendaient à perte de vue devant lui et se sentit sa poitrine s’emplir de
fierté à la vue du fruit des efforts de ses frères les plus méritants.
Il fit craquer ses phalanges
et reprit son chemin en direction du réfectoire angélique, selon la routine qui
dictait ses journées depuis mille ans.
Là bas, il rencontrerait
Godefroy le Tueur de Troll mais aussi Jerôme Pourfendeur de Démons et Gaëtan le
Fléau des Fées. Ensemble ils se remémoreraient au son de la harpe les jours de
gloires d’antan et parleraient de leurs nouvelles affectations aussi
enrichissantes et passionnantes que le classement des jonquilles par ordre de
taille ou l’indexation des essences d’arbre en fonction de la durée de
germination de leurs graines.
Simon rêvassait en marchant
quand tout à coup, le monde qui l’entourait bascula.
Il eut l’impression d’être
happé dans le sol, comme attiré inexorablement vers le bas par une force irrésistible.
Il tenta de s’accrocher à une touffe d’herbe mais cette dernière céda et la
dernière pensée qui traversa l’esprit de l’ange fût que son ami Godefroy serait
sans doute très contrarié.
-Simon, Ravageur de l’Arcadie,
Ennemi des dragons, Porteur d’épée de lumière et Capitaine des Armées de Dieu,
je t’invoque dans ce corps et te commande de m’obéir en tout point !
Gérard exultait.
Ce n’était pas la première
fois que la chambre froide de sa boucherie accueillait un rituel.
L’invocation fonctionnait à
merveille. Il avait soigneusement évidé les deux parents de leur tripes qu’il
avait ensuite disposé en pentacle avant de disposer le corps d’accueil au
milieu.
-ça va prendre encore longtemps ? Mon chien s’impatiente.
Un roquet jappait au rythme des paroles de son maitre.
-Encore quelques secondes de patience Monsieur Honda. Je vous le livre tel quel ou je vous l’emballe dans un tissu ?
-Non, c’est pour emporter.
Gérard détourna le regard de son client et reprit son rituel.
Le gros bonnet du
« syndicat de quartier » japonais lui avait passé commande d’un tueur
aux pouvoirs surnaturels et avait aligné les biftons, les sacrifices et le
corps d’accueil. Gérard y avait vu l’occasion de travailler plus pour gagner
plus, il n’avait eu qu’à piocher dans sa réserve de Noms Véritables pour lancer
le bazarre.
Soudain le corps commença à
s’animer.
Des secousses de plus en plus
violentes le parcouraient mais Gérard avait pris soin de l’attacher à la chaise
pour s’assurer qu’il reste dans le pentacle de sang.
-Vous allez voir Monsieur Honda, on obtient des résultats excellents avec des viscères humains, ils étaient de la même famille ?
-C’étaient ses parents,
répondit le gros mafieux.
-Parfait, parfait.
Simon ouvrit les yeux.
Il avait vu toutes les strates
supérieures défiler devant lui à une vitesse inouïe pour terminer de façon
abrupte.
Il avait du mal à retrouver
ses repères.
Il pouvait voir des carcasses
de bœufs suspendues à des crochets et, devant lui, un gros bonhomme en tablier
blanc maculé de sang qui s’agitait en criant.
Derrière lui, affalé dans un
divan se tenait un homme tout aussi gros aux yeux bridés. Deux types avec des
lunettes entièrement noires se tenaient de part et d’autre du canapé.
Et un petit chien lui tournait
autour en jappant.
-Et voilà Monsieur Honda ! Invoqué et soumis, votre créature céleste personnelle livrée clef en main et à votre entière disposition !
Le gros type bridé, qui devait être Monsieur Honda se leva et s’approcha de Simon.
-Tu m’entends ?
Simon remua ses mâchoires qui lui semblaient engourdies.
-Je suis ton nouveau maître,
hurla le gros aux yeux bridés. Et tu vas m’obéir aveuglément, pour assurer mon
triomphe, ma richesse et…
-Ta gueule.
-Quoi ?
-Ta gueule, répéta Simon. Et
toi, le gros, ajouta-t-il en désignant Gérard du menton, qu’est-ce que tu as
fait ?
-Tu as été invoqué dans un
corps d’accueil par un rituel de haute magie, tu es soumis aux lois de
l’invocation et tu dois donc te soumettre à nous selon les termes du pacte de
sang qui a été signé.
Simon prit quelques secondes pour réfléchir à la situation.
Dans les moments difficiles,
il aimait recourir à une gymnastique mentale éprouvée qu’il nommait la QECQGAFAMP,
ou Qu’Est Ce Que Georges Aurait Fait A Ma Place.
Simon conclut que Georges se
serait levé et aurait décapité tous ces mécréants. Il soupira en se disant que
finalement, la QECQGAFAMP ne donnait pas souvent des solutions pratiques aux
problèmes du quotidien.
-Bon, OK, souffla-t-il. Donc vous m’avez invoqué ici pour faire de moi votre serviteur, c’est bien ça ?
-Tout à fait, hurla Monsieur
Honda, et tu vas m’obéir !
-Minute, minute. Donc je vais
obéir à vous et à vous seul, on est bien d’accord ?
-Tout à fait !
-A vous seul et pas au gros
tas en tablier blanc ?
-Non, non, seulement à
Monsieur Honda, s’empressa de préciser le gros Gérard.
-A vous seul et pas aux deux
crétins qui gardent l’entrée de la pièce ?
-Non, non, juste à moi, cria
Monsieur Honda.
-A vous seul et pas au petit
chien ?
-Bien sur que non !
-Pas au petit chien qui court
autour de moi en jappant ?
-A moi seul !
-Pas au petit chien qui court
autour de moi en jappant et en mangeant les bouts de tripes que vous avez mis
par terre en forme de pentacle ?
Les deux humains regardèrent par terre. Le petit roquet était affairé à grogner en grignotant un bout de tripe qu’il avait pris dans le pentacle, créant une brèche dans le dessin.
-Ho, putain, souffla Gérard.
Tout alla très vite.
Simon ne remarqua même pas que
des cordes le liaient à sa chaise. Il se redressa en les brisant comme si elle
avaient été faites de papier.
D’un solide revers du poing,
il envoya le gros Gérard s’encastrer dans le mur du fond.
Monsieur Honda avait déjà
répandu une partie de ses fluides corporels quand Simon lui attrapa le bras
gauche et le plia dans quatre positions différentes.
Les deux gorilles avaient
sortit des armes étranges de l’intérieur de leurs vestes mais ils n’eurent même
pas le temps de les pointer. Ils se retrouvèrent la tête coincée dans une
carcasse de bœuf en moins de temps qu’il n’en faut pour dire
« sashimi ».
Le chien ne jappait plus.
Simon fit jouer son épaule.
Le mouvement de rotation lui
semblait moins ample et fluide que d’habitude.
Il regarda ses mains et
constata qu’elles étaient fines et bien entretenues.
-Je sens que vous m’avez trouvé un corps d’accueil de champion, grogna-t-il.
L’ange enjamba les débris qui jonchaient la pièce et se pencha sur le gros Monsieur Honda. Celui-ci pleurait de douleur et rampait dans une flaque qu’il avait lui même répandue.
-Ecoute-moi bien gros tas. Je devrais te tuer pour ce que tu as fait, mais tu as de la chance, ça n’entre pas dans ma mission de responsable du N.A.Z.E.
Monsieur Honda regardait Simon avec des yeux implorants. L’ange y reconnu le mélange de terreur et de douleur qui seyait si bien aux ennemis de Dieu.
-Maintenant, tu vas te lever et tu vas me conduire en la Cathédrale Notre-Dame de Paris, je me fais bien comprendre ?
-Haï !
Le gros Monsieur Honda mena
Simon en dehors de la chambre froide.
Le baron de la pègre du
quartier n’en menait pas large avec son bras cassé et son pantalon humide.
Simon le suivait sans prêter
trop attention à ce qui l’entourait. Il restait concentré sur le fait qu’il
avait été invoqué sur le plan matériel et qu’il n’allait donc pas pouvoir
fournir à temps son prochain arbuste nain.
Le gros Monsieur Honda lui fit
traverser ce qui semblait être une boucherie et sortit dans la rue.
Il faisait nuit noir, mais la
ville désertée était pourtant éclairée comme en plein jour.
Simon avait beaucoup de mal à
reconnaître son environnement et attribua cela à plus de mille ans d’absences
du plan matériel.
Ils s’arrêtèrent devant une
grande caisse en métal munie de roues.
Le gros Monsieur Honda ouvrit
une porte et fit une profonde révérence alors que Simon s’installait. L’ange ne
laissa pas transparaitre sa surprise quand il constata que la véhicule
parvenait à se mouvoir sans l’aide d’aucune bête de trait.
Le trajet fut bref. Simon
pouvait apercevoir les bâtiments imposants d’une ville qu’il ne connaissait
pas. Il ne demanda pas à son guide le nom de la cité afin de ne pas dévoiler son
ignorance.
Cinq minutes plus tard, ils
traversèrent un pont imposant pour arriver sur une grande place que dominait
une gigantesque église.
Monsieur Honda arrêta le carrosse
devant l’entrée monumentale et parvint avec peine à s’extraire du véhicule pour
ouvrir à Simon.
L’ange regarda l’église, puis
son guide.
-C’est la cathédrale Notre-Dame de Paris ?
-Oui, c’est ici.
-Mais alors, nous sommes à
Paris ?
-Oui, pourquoi ?
Simon n’ajouta rien, constatant que la cité avait bien changé en quinze siècles.
L’ange attrapa le gros
Monsieur Honda par le col et avança vers l’entrée de la cathédrale. Les lourdes
portes s’ouvrirent d’elle même au passage de l’ange, comme mues d’une volonté
propre.
Une fois à l’intérieur, Simon
reconnut enfin un décor familier.
Les lourdes portes se
refermèrent derrière les visiteurs.
Simon lâcha le gros Monsieur
Honda qui s’effondra au sol et jeta un œil autour de lui.
Un prêtre en robe de bure remontait les allées dans leur direction.
-Bonsoir Prêtre, clama Simon, que le Ciel te bénisse.
Le vieux prêtre gratta sa barbe grise en regardant Simon de la tête aux pieds.
-Bonsoir, heu…
-Je viens chercher refuge et
réclame la protection de l’administration divine, ce triste individu m’a
invoqué par accident et je dois retourner au plus vite au ciel afin d’y remplir
une mission critique.
-Heu…
Le prêtre semblait nerveux.
Il chercha ses mots quelques
secondes puis décida de se lancer.
-La cathédrale est au service de chacun, mais vous ne pouvez pas y pénétrer ainsi ma fille.
-Ma fille ?
Simon baissa les yeux et regarda son torse. Là où se trouvaient auparavant des muscles pectoraux proéminents ne se trouvaient plus désormais que deux petits seins bien visibles.
La première conclusion qui
vint à l’esprit de Simon était qu’il était bloqué dans le corps d’une femme.
Ce n’est que dans un deuxième
temps qu’il réalisa qu’il était bloqué dans le corps d’une femme entièrement
nue.
Simon redressa la tête et
regarda le prêtre qui virait à l’écarlate.
-Et merde, souffla-t-il.
La lumière blanche agressait
les yeux de l’ange.
Il avait été lavé puis
habillée d’un bas de pyjama et d’un débardeur blanc avant d’être installé dans
cette pièce nue.
Simon était assis face à une
simple table sur laquelle reposait une tasse de thé fumant.
Une jeune fille lui avait
proposé quelque chose à boire et il avait tout naturellement demandé du thé
alors qu’il ne savait même pas ce que c’était.
Il regarda la tasse un instant
puis la saisit de la main droite.
D’un geste soigné, il la posa
dans le creux de sa main gauche et la fit tourner de deux quarts de tour avant
de la porter des deux mains à ses lèvres et boire le breuvage amer à petite
gorgées.
Il reposa la tasse devant lui
et souffla doucement, sentant la chaleur du thé se diffuser dans son corps
d’accueil.
Simon réfléchit un instant et
trouva dans ce breuvage un goût familier qu’il ne s’expliquait pas.
La porte de la pièce s’ouvrit
tout à coup.
Un homme en costume noir entra
et déposa des papiers sur la table avant de s’asseoir devant Simon.
Il tendit la main vers l’ange.
-Salut, je suis Bertrand, de chez Marc.
-Enchanté, je suis Simon, au
service de Georges.
Bertand ouvrit un dossier.
-Au service de Georges, tout à fait. Il nous a fallu un peu de temps pour avoir confirmation, mais il semble bien que vous soyez en effet Simon de chez Georges, invoqué sur terre par un Sorcier, Gérard Sanzot, c’est bien ça ?
-Je me rappelle juste d’un
gros type au milieu de carcasses de vaches. Le type que j’ai amené avec moi vous
en dira plus.
Bertrand se gratta son bouc impeccablement taillé.
-Un ange de Joseph s’occupe de Monsieur Toshiro Honda en ce moment même. Une équipe nettoie aussi la boucherie Sanzot et essaye de désincarcérer du mur la boite crânienne du propriétaire des lieux.
Il toussa pour s’éclaircir la voix.
-Pour faire court, vous êtes arrivé sur terre en dehors du canal habituel, incarné dans un corps non consentant et même pas chrétien. Ça pose quelques soucis à mon administration.
-Et moi donc, j’ai des responsabilités
là haut, je n’ai pas de temps à perdre.
Bertrand tourna quelques pages de son dossier.
-Des responsabilités ? Je pensais que vous étiez aux espaces verts ?
Simon haussa la voix
-Je suis le responsable du Nouvel Agencement Zoobotanique Elyzéen, c’est une tâche vitale que j’accomplis pour la gloire de l’archange Saint Georges et notre Seigneur !
Bertrand s’écarta de la table prudemment.
-Sans vouloir vous vexer Simon, vous faîtes partie des suivants de Georges tellement psychopathes qu’on a préféré les affecter au jardinage plutôt que de prendre le risque de continuer à s’en servir sur Terre.
Simon écarquilla les yeux.
-Mais j’ai un vrai don pour le jardinage, souffla-t-il d’une petite voix.
Il se rendit compte qu’il parlait avec une voix de fillette et cela l’énerva.
-Oui, oui, vous êtes un bon jardinier Simon, mais nous, ici bas, on a un problème de vocation, les volontaires pour servir d’hôtes à des anges ne courent plus les rues. On peut pas se permettre de vous renvoyer comme ça mais en même temps, si vous êtes toujours le gros bourrin que vous étiez la dernière fois que vous avez trainé ici bas, vous n’allez pas nous servir à grand chose.
Simon réfléchit quelques secondes puis se pencha vers Bertrand avec un air de conspiration.
-On peut se parler franchement, demanda-t-il ?
-Allez-y, souffla Bertrand.
-ça fait plus de mille ans que
je taille des arbustes avec de la harpe en fond sonore, je ferai tout ce que
vous voudrez mais gardez moi ici, par pitié.
La journée qui suivit fut
consacrée à divers briefing effectués par les services de Marc et d’Yves.
Bertrand s’occupa des détails
administratifs.
-Vous êtes détachés temporairement des effectifs de l’archange Georges pour la durée de votre mission.
-Ha bon ? Pourquoi,
demanda Simon.
Bertrand releva le nez de ses papiers, regarda Simon un instant, puis repris sa lecture.
-Vous serez affecté à titre provisoire au service de l’archange Laurent, chef des armées célestes.
Simon hocha la tête. Il
connaissait Laurent même si ça ne datait pas d’hier et il s’en faisait l’idée
comme un homme droit, quoiqu’un peu laxiste.
-Vous conserverez l’identité
de votre corps d’accueil. Ses parents étant morts et le reste de sa famille
habitant au Japon, vous ne risquez pas d’avoir de soucis avec votre entourage.
-C’est quoi le Japon, demanda
Simon.
Bertrand releva le nez de ses papiers, regarda Simon un instant, puis repris sa lecture.
-Vous vous appelez donc Sakura Natsume, vous habitez au domicile familial dans le quartier de Pyramide et vous êtes étudiante. Bon, soit dit en passant, le mieux, c’est que vous arrêtiez tout de suite vos études et que vous repreniez à votre compte l’activité d’un de vos deux parents. Votre mère tenait un restaurant de soupe et votre père partageait son temps entre le restaurant et son dojo de kendo.
-C’est quoi un dojo de kendo,
demanda Simon.
Bertrand releva le nez de ses papiers, regarda Simon un instant, puis repris sa lecture.
-Les services de Notre Dame se sont occupés de la paperasse. Donc les locaux sont à vous, vous pouvez vous en servir comme vous l’entendez dans le cadre de votre mission. Nous vous fournirons aussi un petit salaire pour faire face à vos dépenses quotidiennes et nous vous laissons six mois d’acclimatation avec la société moderne. Vous viendrez tous les jours à la cathédrale assister aux stages d’intégration des nouveaux arrivants, afin de limiter votre décalage avec le monde moderne. Le mieux, dans les premiers temps, c’est que vous ne sortiez pas trop pour éviter de gaffer. Mettez ça sur le compte du deuil, ça semblera naturel.
Bertrand referma son dossier et se leva.
- Très franchement, avec une salle d’arme et une tradition familiale pareille, on n’aurait pas pu trouver meilleur hôte d’accueil pour un ange comme vous, vous avez de la chance.
Simon se leva aussi.
-Heu, oui, néanmoins, j’ai une petite question.
-Allez-y.
-Y a pas un moyen pour que je
sois un homme plutôt ?
Bertrand regarda Simon un instant, puis sortit.
-Et là, on a quelques fusils
d’assaut, l’arme standard des armées modernes.
L’instructeur désignait une table avec différentes objets étranges disposés dessus.
Simon s’était fait expliquer
le principe des armes à feu mais faute de démonstration, le concept restait
encore assez flou pour lui.
Il avait été très enthousiaste
d’être pris en charge par les troupes de Laurent pour ce stage de remise à
niveau militaire, mais l’abondance de théories et de schémas commençait à lui
peser presque autant que l’instructeur, un soldat de Dieu plein d’entrain mais
qui dissimulait mal sa misogynie.
-Bon, là, on a surtout du très classique, du ruskof avec la kalach’, de l’amerloc avec une M4. Tiens, elle attrape ça la demoiselle, c’est un FA-MAS bien de chez nous.
L’instructeur tendit une des armes à l’ange qui la prit et la soupesa en tentant d’adopter un air d’expert qui apprécie un bel objet.
En vérité, Simon n’avait pas
la moindre idée de par quel bout prendre l’arme en question, mais il attendait
patiemment qu’on lui fasse une démonstration.
-Mmm, oui, bien de chez nous, lança-t-il au hasard sur le ton de quelqu’un qui s’y connaît.
-Ouep, fabriquée à
Saint-Etienne, le pays du foot et des flingues, pas une arme de gonzesse ça. Elle
veut une démonstration la demoiselle ?
L’instructeur attrapa un des fusils et le pointa vers un mannequin au fond de la pièce. Simon nota la position qu’adoptait l’instructeur et contrôla un sursaut quand les premiers coups de feu retentirent.
Au fond de la pièce, le
mannequin volait en éclat.
Simon estima qu’il avait
comprit le principe de base.
-Bon, alors résumons, ces machins la, ces fusils, ils projettent des petits bouts de métal qui tuent des gens de loin s’ils sont sur la trajectoire, c’est bien ça ?
-Mais c’est qu’elle a tout
pigé la demoiselle. C’est assez résumé mais c’est bien ça.
Simon reposa son FA-MAS délicatement sur la table.
-Bon, alors maintenant qu’on a fait le tour des jouets pour gonzesse, est-ce qu’on peut aller voir les armes pour homme ? Les épées, les sabres, autre chose que les trucs de lâche quoi.
Puis, l’ange se pencha vers l’instructeur pour lui parler au creux de l’oreille.
-Et si jamais tu m’appelles encore Mademoiselle, Miss ou Simone, je t’ouvre le bide et je te sors les boyaux, compris ?
Derrière lui, le taxi
démarrait, le laissant seul sur le trottoir de la rue Sainte Anne, en plein
quartier japonais.
L’ange avança rapidement et
pénétra sous un porche pour ne pas être reconnu par d’éventuels voisins. Un
digicode barrait l’entrée de la cour de son nouveau domicile. Simon fouilla
dans son sac pour en sortir un papier où étaient notées les instructions.
Il composa le code d’un geste
hésitant et pénétra dans le hall d’entrée qui donnait sur la cour intérieure de
l’immeuble.
Une fois à l’abri du vacarme
de la rue, Simon poussa un soupir de soulagement.
Il repéra les lieux avec
attention avant de s’avancer vers la porte du fond de la cour. Au dessus, une
pancarte annonçait «Dojo - Kendo, Kenjutsu, Iaido».
Là, il sortit un trousseau de
clefs et se mit à les essayer une par une dans la serrure.
La porte s’ouvrait sur un vestibule.
Au fond, une autre porte donnait sur la salle principale.
Simon constata qu’il y avait
une marche à monter dès l’entrée de la maison et un ensemble de chaussures
était entreposé dans un meuble bas sur le côté. Il ôta ses chaussures de toile
comme s’il en avait ressenti le besoin et pénétra dans le dojo.
Les lieux avaient un quelque
chose de familier. Simon passa devant de grandes calligraphies et une grande
armure de samouraï et s’arrêta devant la liste des membres du dojo.
Il remarqua le nom du père de
Sakura au titre de maître principal et le nom de Sakura elle-même dans les
maîtres assistants. Simon resta quelques instants devant la liste, puis reprit
son exploration.
Une porte donnait sur des
vestiaires, une autre sur un escalier qui montait.
Simon l’emprunta et découvrit
l’appartement de la famille Natsume qui se trouvait à l’étage. L’endroit était
désert et silencieux, probablement inoccupé depuis l’assassinat des parents de
Sakura.
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